— Bon, y plus qu’à attendre maintenant.
Debout dans la salle de contrôle, le commandant Gart soupira longuement et désespérément. Les deux billes noires qui lui servaient d’yeux se posèrent sans conviction sur ses équipiers. Plus de vingt ans maintenant qu’ils traversaient les systèmes et envoyaient leur message aux planètes habitées et il en avait pour l’instant tiré que deux conclusions : l’univers était bien vaste et il n’abritait finalement que peu de civilisations évoluées et désireuses de les aider. C’était tout de même bien malheureux que la seule race évoluée que son peuple eût jamais rencontré fût si vindicative. Son seul but semblait être de dominer la galaxie, voire l’univers. Les Galaciens n’avaient décidément pas de chance.
Vingt ans de voyage avaient donc suffit à la plupart des membres de l’équipage pour perdre courage. Un semblant d’espoir renaissait chez certains lorsqu’ils détectaient des activités technologiques sur une planète, mais il était toujours retombé lorsqu’ils se rendaient compte que les êtres n’étaient pas assez avancés.
Tout ce temps avait aussi été suffisant pour former des couples et compter déjà plusieurs naissances et décès. Le vaisseau avait beau être vaste, en termes Galaciens, il n’en restait pas moins que des dissensions s’étaient créés. Le commandant lui-même en avait quelques-uns dans les nasaux, mais il était commandant justement, alors…
En plus, leur bâtiment, le Eultha'dferay, qui avait fait la gloire de Galacia en son heure, commençait à montrer des signes de faiblesse. Et bientôt, tout le monde le savait, ils seraient forcés de faire demi-tour et de rentrer chez eux. Sans même savoir ce qu’ils allaient y trouver. Après une si longue absence, beaucoup de choses pouvaient en effet avoir changé, les leurs pouvaient même avoir été décimés.
D’un naturel sceptique et nerveux, le commandant fit s’évaporer sa dernière réflexion dans un nouveau soupir tout en regardant ses compagnons de voyage, petites boules de poils bipèdes aux oreilles en pointe, aux grands pieds et au museau légèrement annelé. Une pièce de plastique sur l’épaule droite indiquait le grade et la caste de chacun.
Car leur communauté fermée était divisée en trois castes bien distinctes et la hiérarchie restait l’une des choses les plus importantes.
On reconnaissait les scientifiques à leur couleur orange et à leur pelage souvent hirsute. Ils semblaient avoir le cerveau toujours en ébullition et quelques équations en cours et étaient férocement opposés à la caste militaire, les bleus, qui leur rendait bien. Cependant, ils devaient tout de même composer avec puisque le vaisseau était hiérarchiquement sous leur contrôle. Entre les deux, venait la caste des parlementaires. Toujours d’accord avec tout le monde, ils étaient toujours tout sourire sous leurs atours verts.
Et au milieu, le commandant Gart regardait tout cela d’un œil tantôt amusé tantôt irrité. Tant qu’on lui obéissait il n’avait que faire des disputes.
Ah ! Et bien sûr, il y avait le caporal Rambu, militaire de fonction qui se prenait pour un scientifique et affichait le sourire des parlementaires. Un cousin du commandant. Même par temps de guerre, la famille avait le pouvoir de vous faire faire des stupidités dans le genre. Ah si seulement le commandant n’avait pas cédé à la pression de sa mère, il aurait laissé le caporal sur place. Maintenant qu’il était dans ses rangs, il ne pouvait pas faire autrement que de lui donner deux ou trois choses à faire – pas trop compliqués surtout, il ne s’agissait pas non plus qu’il puisse faire n’importe quoi – et de le garder à bord – le commandant n’était pas un assassin. Ceci dit, il l’évitait le plus possible, de peur que la stupidité ne fût contagieuse.
Désespéré, le commandant attendit professionnellement quelques minutes après l’envoi du message avant de déclarer :
— Je serai dans mes appartements si vous avez besoin de moi.
C’était une habitude : il ne restait jamais dans la salle de contrôle. D’une part parce qu’il n’avait rien de bien intéressant à y faire et d’autre part parce que son cousin y était affecté. De toutes façons, ce serait comme d’habitude : pas de réponse et dans deux jours ils partiraient vers un autre système stellaire.
En homme de confiance, le commandant fit donc exactement ce qu’il avait dit et enfila les couloirs et les secteurs jusqu’à ses appartements.
Enfin tranquille, pensa-t-il en bâillant…
Trop vite, car à peine s’était-il installé dans son fauteuil, que son intercom le rappela à l’ordre.
Jamais tranquille ! se plaignit-il donc.
— Oui ? ragea-il après avoir ouvert la communication.
— Ah euh… On a besoin de toi Gart.
— Commandant !
Franchement, s’il n’était pas aussi droit, il aurait déjà éjecté son cousin dans l’espace.
— Euh… On a besoin de vous, commandant.
— Qu’est-ce qu’il y a ?
— On a reçu une réponse.